Earn-out et Covid-19 : un outil de gestion du risque transactionnel plébiscité par la crise sanitaire

Newsletter #4 Mars 2021

par Frédéric Rochat, Dr. en droit, avocat, LL.M., Kellerhals Carrard, Lausanne et Raphaël Leveau, expert-comptable diplômé, Berney & Associés, Genève

Nous vous l’indiquions déjà en juillet dans le cadre de notre Newsletter #1, la période actuelle favorise le recours au mécanisme d’earn-out, une clause de prix controversée, mais qui semble récemment répondre, en partie du moins, à certaines incertitudes soulevées par la crise sanitaire.

Fonctionnement

L’earn-out est un mécanisme d’ajustement du prix (variable) dont la méthode de détermination est définie au moment de la transaction initiale. L’earn-out est généralement payé, en tout ou partie, lorsque la société vendue (la Cible) atteint certains niveaux de performance et/ou de profitabilité. Les critères évaluant la performance sont souvent liés à des notions de volume d’activité et/ou de rentabilité de la Cible dans le futur, ou encore à l’atteinte de certains objectifs (milestones), par exemple le développement et/ou la mise sur le marché d’un nouveau produit.

Ainsi, au moment de la conclusion de la transaction, toutes les actions de la Cible sont transférées à l’acquéreur mais le prix définitif n’est pas connu. A cette occasion, seul le prix de base (fixe) est figé et (généralement) payé, l’ajustement de prix (variable) étant déterminé et payé ultérieurement selon la méthode convenue.

Un mécanisme d’earn-out pourra être couplé avec d’autres modalités, comme la consignation d’une partie du prix de base auprès d’un tiers séquestre (escrow) ou, à l’inverse, l’octroi de sûretés pour le paiement pour la partie variable (earn-out), sous forme d’une garantie bancaire ou d’une consignation d’un montant estimé. L’earn-out est généralement plafonné à un montant maximum, même lorsqu’il est calculé en pourcentage de résultats futurs, car l’acquéreur doit avoir connaissance de son exposition financière maximale au titre du prix d’acquisition.

Si l’earn-out doit en théorie aligner les intérêts des parties à la transaction, incitant le vendeur à assurer la performance de la Cible après le transfert, il crée néanmoins des biais de comportement :

  • L’acquéreur aurait en effet tendance à chercher à réduire le montant de l’earn-out. Par exemple, l’acquéreur peut faire en sorte que la Cible consente de nombreux investissements à long terme, dont certains coûts impacteront immédiatement la rentabilité, mais dont les effets positifs se matérialiseront seulement après la période d’earn-out.
  • À l’inverse, le vendeur, s’il conserve une influence importante sur la marche des affaires durant la période d’earn-out, pourrait privilégier des mesures à court terme (report d’investissements, diminution des frais de publicité, etc.) pour augmenter son earn-out. Par exemple, si l’earn-out est fixé à quatre fois l’EBITDA de l’année suivante au-delà d’un seuil minimum, le vendeur peut avoir intérêt à générer artificiellement du chiffre d’affaires profitant à la Cible (en passant des commandes par une autre société ou à titre personnel), même s’il doit assumer le coût de cette dépense en pure perte, car le bénéfice qui en résulte pour la Cible lui est payé quatre fois !!

C’est dire que la méthode de calcul de l’earn-out et des critères de performance doit être claire et précise.

  • Elle doit tendre à la simplicité pour minimiser les risques de divergence d’interprétation.
  • Le périmètre concerné par le calcul (zones géographiques, entités juridiques, produits, collaborateurs, etc.) doit être explicité.
  • Nous conseillons fortement d’inclure un exemple chiffré de calcul basé sur des données historiques, afin de faciliter la compréhension et de lever autant que possible les ambiguïtés.
  • Enfin, certaines classes spécifiques doivent être incluses pour pallier d’éventuels désaccords (permanence des méthodes comptables appliquées, éléments de produits/charges à inclure ou exclure, engagements de collaborateurs, droit de regard du vendeur sur la gestion de l’entreprise jusqu’à la date critère, droit du vendeur à accéder aux informations, notamment comptables, nécessaires pour le calcul de l’earn-out, règlement des litiges, etc.).

Le mécanisme d’earn-out permet de couvrir une grande variété de problématiques rencontrées dans les transactions. Certaines situations appellent régulièrement le recours à l’earn-out :

  • L’earn-out permet d’aligner les intérêts de l’acquéreur et du vendeur lorsque ce dernier continue d’exercer des fonctions opérationnelles et managériales au sein de la Cible post-transaction ;
  • L’earn-out permet de conclure une transaction malgré une divergence sur le prix, lorsque le vendeur fonde ses exigences sur une valorisation jugée trop agressive par l’acquéreur (par exemple basée sur les perspectives futures (DCF)) : l’earn-out ne sera alors payé en plein que si les projections du vendeur se réalisent ;
  • Lorsque les parties font face à un risque financier dont l’occurrence est probable, voire certaine, mais dont l’ampleur financière reste difficile à évaluer (comme dans le cadre de la situation sanitaire actuelle), l’earn-out permet de tenir compte de l’impact réel de ce risque sur la Cible.

L’earn-out permet ainsi à l’acquéreur de proposer un prix de vente qui reste attractif pour le vendeur, tout en se prémunissant d’éventuelles mauvaises nouvelles notamment sur la marche des affaires suite à la reprise. Il incite le vendeur à tout mettre en œuvre pour assurer une transition dans les meilleures conditions. En outre, il facilite le financement pour l’acquéreur dans la mesure où le besoin de financement est différé, voire inexistant, pour la partie d’earn-out.

Nous constatons que la situation sanitaire récente a accentué le recours à ce mécanisme, engendrant néanmoins un changement de paradigme pour l’earn-out (ou … « loss out » ?) : auparavant considéré comme récompensant le vendeur pour la surperformance de la Cible, il est aujourd’hui davantage
considéré comme un paiement conditionnel du prix si la Cible parvient à maintenir sa profitabilité, ou à la rétablir au sortir de la crise COVID-19.

Limites du mécanisme

Les mécanismes d’earn-out ont toutefois des limites à plusieurs égards. Tout d’abord, le vendeur dispose souvent, après la transaction, d’un moindre impact sur la prise de décisions opérationnelles ainsi que d’une vision plus limitée sur les éléments financiers y relatifs. Comme exposé ci-dessus, l’acquéreur peut parfois (délibérément ou non) prendre des décisions contraires à l’intérêt du vendeur de maximiser l’earn-out, sans que le vendeur puisse s’y opposer ou même en ait connaissance (à temps). Et la situation inverse peut se produire si le vendeur conserve, après la transaction, un important pouvoir de gestion de la Cible. Afin de limiter ces déconvenues, les parties et leurs avocats tenteront de définir en détail le
mécanisme et d’assurer un droit de regard de chaque partie. Mais, malgré la sagacité des rédacteurs du contrat, il n’est guère possible d’éviter à coup sûr les divergences de vues et les litiges : certains voient dans l’earn-out le meilleur moyen de provoquer un procès, ou du moins une renégociation serrée, au moment du prochain paiement. A cet égard, les capacités financières des parties joueront alors un rôle important s’il faut agir judiciairement.

La seconde limitation du mécanisme résulte du risque de requalification fiscale d’une partie du prix de vente en salaire, dans le cas où le vendeur continue d’exercer des fonctions opérationnelles au sein de la Cible après la conclusion de la transaction. Dans ce cas, il convient de porter une attention particulière à tout changement de rémunération (salaires et autres avantages en nature). En effet, si le vendeur détient les titres de la Cible dans sa fortune privée, la cession des actions devrait entrainer un gain en capital exonéré d’impôts et de charges sociales. L’administration fiscale et les caisses AVS portent donc une attention particulière à ces cas de figure pour vérifier si le prix de vente de la Cible (et en particulier l’earn-out, qui dépend précisément des performances futures) peut être partiellement assujetti à l’impôt sur le revenu et aux charges sociales, au motif qu’il rétribue (d’avance) le travail accompli par le Cédant pour la période d’accompagnement post-transaction. La présence d’un mécanisme d’earn-out a ainsi tendance à amplifier le risque de requalification du prix de vente en élément de rémunération (imposable) chez le vendeur, si le mécanisme n’est pas bien structuré et formulé dans le cadre du montage de la transaction.

A un niveau plus international, la structuration d’un earn-out peut présenter certaines différences entre pays ; les acquéreurs étrangers d’une Cible suisse devront être sensibilisés aux particularités du droit comptable suisse, notamment aux réserves latentes, afin de mieux comprendre les modalités à négocier.

Recommandations pratiques

Afin de limiter les risques énoncés ci-dessus, il est notamment recommandé:

  • De définir dans le contrat initial les fonctions, le taux d’activité et la rémunération du vendeur, ainsi que son pouvoir d’influence sur la marche de la Cible, pendant la période de calcul de l’earn-out ;
  • D’établir préalablement à la transaction un ruling fiscal avec les autorités fiscales sur la qualification de gain en capital exonéré du prix de vente (y compris l’earn-out) ;
  • De définir en détail les modalités, notamment comptables, du mécanisme d’earn-out (principes comptables, périmètre, investissements, etc.) ;
  • De prévoir la désignation d’un expert indépendant en cas de litige entre les parties sur le calcul de l’earn-out.