L’évaluation de PME dans le contexte du Covid-19

Newsletter #1 Juillet 2020 

Par Vincent Dousse, Heig-Vd 

Les impacts macro-économiques 

Les impacts de la crise du coronavirus sur l’entreprise et son environnement doivent être pris en considération dans toute évaluation d’entreprise. Cette crise implique un manque de visibilité des rendements futurs de la plupart des entreprises. Si ses effets à court terme sont maintenant relativement connus, ceux à long terme sont par contre plus difficiles à cerner. 

A court terme, après une chute historique de la croissance, la situation économique suisse et mondiale devrait retrouver le niveau d’avant crise d’ici environ deux ans, grâce notamment aux mesures prises par les gouvernements et par les banques centrales. Durant cette période, certaines entreprises seront cependant très impactées, notamment celles actives dans l’industrie, le tourisme, l’aviation, l’événementiel ainsi que de nombreux sous-traitants. L’évaluation de ces entreprises doit intégrer leur capacité de traverser cette crise et de continuer leur activité à long terme. 

A long terme, cette crise ouvre de nombreuses questions liées au changement du comportement des consommateurs et des entreprises. La sensibilité écologique sera-t-elle davantage intégrée dans la prise de décision d’achat ? Le télétravail se répandra-t-il au point de réduire sensiblement les déplacements et les dépenses qui sont liées ? La crainte des consommateurs impliquera-t-elle une baisse durable des voyages à l’étranger et des grands rassemblements ? La réponse à ces questions aura des effets considérables sur certains secteurs d’activité. Certains profiteront de ces changements alors que d’autres en subiront les conséquences. 

A long terme toujours, il faut aussi tenir compte de la hausse de la fiscalité et des prélèvements obligatoires (cotisations aux assurances sociales) qui paraît nécessaire pour rembourser les dettes colossales contractées par les Etats en réponse à la crise. Pour la seule Confédération, les dépenses en lien avec le Covid-19 arrêtées pour 2020 se montent déjà – au 20 mai 2020 – à CHF 30’781 Mio ; en intégrant les cautionnements et garanties, les mesures de la Confédération se montent à CHF 72’200 Mio (source : www.efv.admin.ch/efv/fr/home/aktuell/brennpunkt/covid19.html). Ces mesures fiscales et ces prélèvements obligatoires auront un impact négatif sur le pouvoir d’achat des consommateurs et in fine sur les résultats des entreprises. 

Augmentation du risque et impact sur le coût du capital 

L’incertitude et le risque accrus impliquent une hausse du rendement attendu par les investisseurs afin de rémunérer cette incertitude, et donc une hausse du coût du capital, qui implique une baisse de la valeur de l’entreprise. A notre sens, la valorisation élevée des entreprises cotées – due à la forte reprise des marchés observée en mai 2020 – ne devrait pas être extrapolée aux PME. D’une part, parce que cette hausse est principalement due à l’abondance des liquidités sur les marchés. D’autre part, parce les PME sont souvent plus exposées aux aléas de la conjoncture, en raison notamment de leur dépendance plus importante envers certains clients et certains marchés. 

Dans ce contexte d’incertitude et de risques, la méthode DCF qui consiste à actualiser les cash flows libres futurs devrait être appliquée avec une prudence accrue. La planification financière doit être envisagée selon plusieurs scénarios et le risque doit être apprécié avec la plus grande attention. La simple extrapolation des cash flows passés n’est pas recommandée. Le secteur d’activité, la résilience de l’entreprise à la crise et l’éventuel endettement supplémentaire lié à cette dernière, la qualité et la diversité du portefeuille de clients, la capacité à innover et à se réinventer, les besoins d’investissements liés à la digitalisation et à la révision indispensable de certains modèles d’affaires, ainsi que les compétences et la fidélité des collaborateurs clés sont aujourd’hui des éléments particulièrement importants pour l’évaluation et sont donc susceptibles d’influencer grandement la valeur. Les perspectives d’accroissement des parts de marché de la société liées à la disparition de certains concurrents moins solides financièrement pourront également être prises en compte dans la mesure où elles peuvent être estimées. 

Méthodes et multiples de valorisation 

L’évaluation pour des entreprises non cotées devrait aussi reposer sur d’autres méthodes que la seule DCF, en particulier sur celle des multiples observés sur le marché et dans le cadre de transactions récentes. Compte tenu du risque accru, les multiples observés avant la crise du Covid-19 devraient être abaissés sous réserve des secteurs d’activité qui ont bénéficié de la crise, par exemple les fournisseurs de services en ligne. 

Finalement, compte tenu de la forte incertitude actuelle, nous conseillons de prévoir une clause d’earn-out ou des paiements échelonnés dans le contrat d’achat-vente d’entreprises, de manière à répartir le risque entre acheteur et vendeur. Dans certains cas, le vendeur sera bien inspiré de solliciter des garanties de paiement pour ces montants dus dans le futur, l’incertitude n’étant pas limitée à la société cible, mais pouvant s’étendre à son acquéreur. 

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